Encore une fois je mesure ma chance d’avoir une chouette librairie car j’ai pu rencontrer un auteur passionnant grâce à la librairie Le Détour. Je connaissais Didier Daeninckx pour ses romans noirs et polars avec un fond historique. Il y a quelques années j’avais participé à des lectures publiques dans le cadre d’un festival très intéressant (mais qui n’existe malheureusement plus) « Les visiteurs du Noir » où il avait une bonne place et pour lequel il était déjà venu à Granville. J’ai déjà lu « La mort n’oublie personne »  et la BD « Le Der des ders » avec Tardi.

La librairie étant toute petite, la rencontre a eu lieu dans la galerie « le Bazar » de Fabien Lefebvre, soudeur-sculpteur et peintre. Didier Daeninckx était présent dans le cadre des Joutes Poétiques Granvillaises.

Fanny, ma libraire, qui lance la discussion

Bastien, très sage en compagnie d’Astérix 😉 (je l’ai récompensé en lui offrant une BD de « Kiki et Alien » 😉

  • La discussion a commencé autour de « Meurtre pour mémoire » duquel Fanny dit qu’il a levé un pan de l’histoire pour un grand nombre de lecteurs même ceux qui ont connu les années 60. Il y a un engagement dans l’histoire. Didier Daeninckx a raconté la genèse de son envie d’écrire ce roman. Il a expliqué que la guerre d’Algérie avait accompagné son adolescence et qu’en 1962, une amie de sa mère, Suzanne Martorel, la mère d’un de ses copains de collège, avait été une des 9 personnes tuées lors de la manifestation de Charonne à Paris en 1962. Après que son premier roman ait été publié en 1977, il a eu le courage d’en écrire un deuxième et il s’est dit que s’il avait une chose à dire c’était qu’il y avait un assassin en liberté et qu’il était au gouvernement : c’était Maurice Papon. Ce livre, il l’a écrit pour fixer la responsabilité de Papon en 1962 et à la même époque le Canard enchaîné sortait des révélations sur sa responsabilité dans la déportation des Juifs en France. Il a fini par être condamné en 1998 pour complicité de crime contre l’humanité, la plus grave condamnation en France, peine incompressible. Pour lui, c’était inadmissible que symboliquement on ait eu un criminel contre l’humanité au gouvernement français.

Quand il a écrit « Meurtre pour mémoire », il voulait aussi dire que la littérature a un poids. Toutes les révolutions ont été accompagnées par des écrivains, la résistance accompagnée de poètes… En France, la littérature a une part différente que dans d’autres pays. L’Histoire et la littérature sont liées.

Pour lui, écrire contre Papon, c’était essentiel, il sentait que s’il n’écrivait pas, il était complice du silence. Quand quelqu’un lui demande si c’était une prise de risque, il répond qu’il y avait une part d’inconscience du danger, une nécessité. Le roman s’est retrouvé sur un bureau de « Série Noire », une collection de Gallimard qui a une forte histoire littéraire et Marcel Duhamel qui dirigeait la collection a choisi de s’engager en le soutenant. A la sortie du roman, il y a eu un silence absolu mais petit à petit, des profs ont mis ce roman dans leurs lectures conseillées et dans leurs cours de lycée et il a été réimprimé de nombreuses fois. Il a fait sa route grâce au bouche à oreille. « Meurtre pour mémoire » est devenu un incontournable pour parler de la guerre d’Algérie. L’auteur a beaucoup été invité dans des lycées mais régulièrement, les proviseurs s’y opposaient et le censuraient. Et puis, il y a eu le procès et la condamnation de Maurice Papon et le livre est devenu un livre recommandé par l’Education Nationale. Ce roman a eu un parcours curieux en très peu de temps.

 

  • Puis l’auteur a parlé d’un autre roman de lui : « Caché dans la maison des fous ». Ce roman a pour origine une rencontre avec un prof avec qui Didier Daeninckx s’est lié d’amitié et qui avait des liens à la maison d’édition « Bruno Doucey » spécialisée dans la poésie mais qui a voulu aussi publier des « romans où le destin d’un poète croise la grande Histoire ». Il explique que pour lui, la poésie c’est le diamant de la littérature, on ne triche pas avec la poésie. Il n’y a pas de masques et les poètes sont souvent les premiers à payer quand des dictatures se mettent en place. Didier Daeninckx nous a raconté toute une série de coïncidences qui le rapprochaient de Paul Eluard et qui ont fait qu’il a eu envie de parler de  lui et il a également parlé de la psychiatrie et des asiles psychiatriques pendant le guerre. C’est pour cela qu’il a eu envie de parler de Paul Eluard et faire le lien avec « Souvenirs de la maison des fous » que le poète avait écrit après avoir été caché l’asile de Saint-Alban et sa rencontre avec Denise Glaser. Didier Daeninckx  nous a aussi parlé de Lucien Bonnafé, un psychiatre résistant et moderne qui en pleine guerre a tenté des approches différentes comme les travaux manuels, le jardinage ou l’art thérapie.

 

  • Ensuite, il nous a parlé de ce qui l’a inspiré pour « La route du Rom ». Il a fait la rencontre d’un prof qui vivait très mal le fait que son lycée soit nommé d’après un homme politique local mais surtout une personne qui au moment de la deuxième guerre mondiale avait été nommée maire par le gouvernement de Vichy et aurait  été responsable de l’installation d’un camps de détention pour des Tziganes, des handicapés et même des « soldats indignes » de la Wehrmacht. Il a également parlé de tous les camps de Tziganes qui ont été construits, parfois après des concours architecturaux.

 

  • Concernant les « romans policiers / romans noirs », Didier Daeninckx raconte qu’au début, il y avait un mépris pour le genre mais que petit à petit, grâce à des éditeurs, des critiques, des libraires, il a été mis en avant et a pu évoluer comme un genre respecté. Il est revenu sur ce qui est considéré comme le premier roman policier  « Double assassinat dans la Rue Morgue » qui avait été traduit par Charles Baudelaire mais aussi « Justice sanglante » de Thomas De Quincey écrit peu près à la même époque. Il raconte que les surréalistes ont participé à mettre en avant les faits divers, à s’interroger sur la folie notamment dans la littérature. Mais il y a aussi eu une période où la littérature policière a perdu sa charge littéraire pendant assez longtemps mais depuis quelques temps, elle l’a retrouvée et a une réelle identité entière dans le paysage littéraire.

 

  • Suite à une question sur les ateliers d’écriture créative, il a expliqué que lui-même n’en faisait pas car pour lui l’écriture n’est pas quelque chose d’anodin, c’est un engagement de soi et ce n’est pas facile de les mener. L’expression artistique a la capacité de libérer la parole de nombreuses personnes qui se sentent enfermées dans des cadres. Il estime que tout le monde peut s’exprimer d’une façon ou d’une autre par l’art et que l’écriture permet de structurer ce que l’on veut exprimer par d’autres arts.

 

J’ai beaucoup aimé cette rencontre autour d’un homme passionné et passionnant qui maîtrise l’histoire et la littérature et qui a su nous parler simplement sans mettre de distance entre nous. Une belle rencontre! J’ai acheté et fait dédicacer « Meurtre pour mémoire » pour L’Homme (mais je le lirai aussi!) et « Caché dans la maison des fous » (pour moi). Si vous avez l’occasion de le rencontrer et de l’écouter : n’hésitez pas!

Merci encore à Raphaël et Fanny de la librairie Le Détour pour leur dynamisme!

15 commentaires sur « Rencontre avec Didier Daeninckx »

  1. Coucou Enna, j’ai eu la chance de rencontrer cet auteur il y a 4 ans, venu rencontrer nos élèves. C’est un conteur hors pair et un type d’une grande générosité et gentillesse, une des plus belles rencontres, vraiment !

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    1. c’est exactement ce que j’ai ressenti! moi qui ne suis pas très douée en histoire, je l’écoutais et tout était limpide! C’est vraiment quelqu’un qui sait transmettre (il aurait peut-être été un bon prof 😉

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  2. Il était venu sur La Roche sur Yon (il y a longtemps) et cela avait été effectivement une rencontre très animée dont je garde un bon souvenir. Malheureusement, ce n’est pas tout à fait le genre de lecture que j’aime…

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  3. ouah tout un article didonc…oui il faut parler contre cette horreur…et ce personnage…vraiment toute une bien belle rencontre pour toi…et fiston toujours calme…;)

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  4. Je suis de sa génération, donc ce qu’il raconte me parle forcément. Quand on a l’air de nous dire aujourd’hui qu’on avait de la chance parce qu’à notre époque il n’y a avait pas ceci, pas cela, ça me fait rigoler. On avait la guerre d’Algérie, la guerre froide, le souvenir tout frais de la deuxième guerre mondiale et la société sous de Gaulle, c’était vraiment pas falbalas et cotillons (surtout pour les femmes).

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  5. Je l’ai rencontré il y a pas mal d’années avec Vargas et Pouy à la bibliothèque des littératures policières. Ce sont des gens tellement passionnants !!

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