J’ai lu et aimé « Underground Railroad » et « Nickel Boys » de Colson Whitehead et je savais que je lirai son nouveau roman et je suis vraiment contente de pouvoir en parler dans le cadre de l’African American History Month challenge. J’ai mis beaucoup de temps à la lire car je l’ai commencé à une période où j’étais fatiguée mais j’ai beaucoup aimé
Ce roman est très différents des deux autres que ce soit par la période historique (pour « Underground Railroad ») que géographiquement puisque nous ne sommes pas dans le Sud mais dans le Nord des Etats-Unis, à New York (ou plus exactement Harlem) dans les années 1960. Mais le point commun entre les romans de Colson Whitehead est la condition de vie des Noirs aux Etats-Unis.
Pour commencer, je vais vous parler de la forme car je l’ai trouvée intéressante. Le roman fait environ 400 pages et il est découpé en 3 grandes parties datées : « Le pick up » 1959, qui fait 135 pages, « Dorveille » 1961, 125 pages et « On se calme, chéri » 1964, 143 pages. Et en fait, j’ai lu ces 3 parties comme on pourrait lire trois tomes d’une série avec au centre un personnages principal, quelques personnages récurrents et surtout un lieu qui est un personnage à part entière : Harlem. A la fin de chaque partie, l’événement central est clos et dans le suivant, qui est chronologique, on retrouve les liens entre les personnages et un nouvel élément devient le cœur de l’histoire. J’imagine très bien qu’une série télévisée en soit tirée avec ce même découpage pour faire des saisons!
Le personnage principal est Ray Carney, vendeur de meubles et d’électroménager qui a sa propre boutique à Harlem. Au début du roman, sa boutique est assez modeste et d’ailleurs, il n’est pas très bien considéré par ses beaux-parents plus aisés qui sont pas ravis que leur fille ait épousé un simple commerçant (et qui plus est, un homme à la peau beaucoup plus foncée que celle de leur fille…). Ce n’est pas la seule différence sociale entre Ray et Elizabeth, car il est le fils d’un gangster d’Harlem, décédé au moment du roman, mais Ray a toujours des connections avec certaines personnes du milieu. Ray, lui, a un fond honnête, il cherche à s’élever par sa boutique mais comme le dit l’auteur il « n’est pas un voyou, tout juste un peu filou » et il fait un peu de trafic de radio et de téléviseurs tombés du camion pour arrondir les fins de mois et lui permettre de rêver d’un meilleur appartement pour lui et sa famille.
Dans la première partie, il va se retrouver mêlé à un cambriolage par le biais de son cousin Freddie, d’abord indirectement puis très concrètement. Il va se frotter à Miami Joe, un gangster haut en couleur…
Dans la deuxième partie, Ray qui espérait pouvoir entrer dans le « Dumas Club » une organisation de personnalités noires locales influentes se fait recaler et l’injustice qu’il ressent va le lancer dans une vengeance savamment orchestrée où il va mettre de son côté ses contacts dans le milieu interlope, notamment le glaçant Pepper qui a bien connu son père…
Et enfin dans la troisième partie, son cousin Freddie qui depuis l’enfance l’entraine dans les mauvais coups tout en lui disant « Je voulais pas te créer des problèmes » va le mettre dans le collimateur d’un autre genre de gangsters : les Van Wyck une famille blanche très riche et très influente…
A chaque fois, Ray va faire un pas de plus vers l’illégalité tout en faisant aussi un pas de plus vers plus de respectabilité car il est très discret et ne fait rien d’autre qu’essayer d’améliorer sa vie pour le bien-être de sa famille. C’est un personnage très complexe et attachant.
Mais ce qui est le plus passionnant dans cette histoire c’est l’ambiance : on est d’une part dans un roman noir avec sa mafia, les bijoux à refourguer, les vols, les armes, les noms des personnages très imagés, les guerres de pouvoir, les flics véreux… Mais on est aussi dans une histoire très sociale : les différences entre les riches et les pauvres, les Noirs et les Blancs certes mais aussi les Noirs plus aisés, les moins honnêtes ou les plus démunis. La géographie de la ville a d’ailleurs toute son importance, ça se joue même à une rue près pour être considéré différemment. Et enfin, il y a aussi tout un côté racial avec la difficulté à faire sa place quand on est Noir même dans le Nord où il n’y a pas de ségrégation officielle mais où le racisme existe bien évidement. Et c’est aussi une époque où les droits des Noirs sont au coeur de l’Histoire avec un grand H. Dans la dernière partie, il y a des émeutes car un jeune noir a été tué par un policier de façon abusive et le policier -blanc- n’a pas été condamné et cela révolte la population noire de Harlem.
C’est donc un savant mélange de roman dramatique, de roman noir et d’une chronique de la vie dans ce quartier. Petite touche qui m’a fait sourire régulièrement, c’est la manière dont Ray, qui est vendeur de meubles, observe, même dans des situations dramatiques ou tendues, les meubles qui l’entourent en les décrivant ou donnant le nom de la marque comme s’il avait en permanence un catalogue dans la tête.