La grande histoire a commencé en 1944 mais l’histoire que je vais vous raconter a commencé sans qu’on se doute de son issue le 11 décembre 2008 sur le blog! Ce jour là, je parlais d’un recueil de témoignages de soldats américains qui évoquait ma famille et mon grand-père, instituteur anglophile, qui, avec d’autres normands, a aidé Paul Calhoun, un parachutiste américain blessé… Ce livre a toujours été pour moi une petite part de la légende familiale. Dès mon plus jeune âge, j’ai toujours été émue de penser que ma famille avait fait quelque chose de positif pendant la guerre. Ce livre et le diplôme que mon grand-père a reçu après la guerre sont des choses très importantes pour moi et c’est pour cela que j’en avais parlé sur le blog.

Et puis, le 1er avril 2014, j’ai reçu un mail par la messagerie du blog :
« Suite à des recherches concernant le soldat Paul Calhoun, j’ai découvert votre blog et quelle ne fut pas ma surprise de découvrir que votre grand père comme le mien l’avait recueilli et caché jusqu’au 20 juin 1944. C’est même mon grand père, Jean Baptiste S., garde du bois de Barnavast qu’il l’avait conduit jusque chez le maire de Teurthéville Bocage, chez qui votre grand père, Mr G. était réfugié avec sa famille.
Je suis à la recherche du livre « Parachutés le 6 juin » car moi aussi, j’étais très fier de pouvoir lire ces pages de l’Histoire concernant ma famille dans cet ouvrage. Malheureusement, ce livre a été perdu. Avez-vous des informations supplémentaires concernant cet épisode ? L’Etat dont était originaire Mr Calhoun par exemple ? Une adresse ?
D’autre part, je dispose d’une photographie de ce soldat, visiblement entourés de nos grands pères respectifs. D’autres personnages restent à identifier. Si vous souhaitez la découvrir, je vous laisse mon adresse mail »
Vu les noms des villages et les noms de famille (dont je n’ai laissé ici que les initiales), ce mail ne pouvait pas être un poisson d’avril! J’ai immédiatement prévenu mon père qui se souvenait très bien du grand-père de ce monsieur et je lui ai transféré le mail et j’ai répondu à Eric S pour lui dire à quel point son mail m’avait agréablement surprise.
Il s’en est suivi une correspondance régulière et fournie entre mon père et Eric et sa femme Alexandra. Mon père a offert à Eric un exemplaire de « Parachutés le 6 juin » qu’il avait en plus et ils se sont rendus compte qu’ils avaient tous les deux la même photo du parachutiste Paul Calhoun :

Photo prise par mon grand-père devant la ferme de le Hannière, le 20 juin 1944, jour où les Américains sont arrivés au Theil et ont récupéré Paul Calhoun. Le 1er à droite de Paul Calhoun est Jean-Baptiste S. le grand père d’Eric L’enfant à gauche est Victor S. l’oncle d’Eric toujours vivant et l’autre enfant plus à droite est mon père.

Dans ce cadre, que mon grand-père avait fait avec l’insigne de la 101ème Airborne et que ma tante a conservé depuis toujours, sur la deuxième photo, on voit Paul entouré de deux hommes dont l’un est Jean-Baptiste S. et l’autre l’ancien officier Belge Aimé de Courtye (qui est mentionné dans le livre).
A partir de là, une sorte de chaîne s’est mise en route pour rechercher Paul Calhoun : grâce à une amie qui travaille au Mémorial de Caen, Alexandra a été mise en contact avec Mr Lamache, qui travaille au musée de Sainte Mère Église. Ce dernier a trouvé des renseignements : nous avons donc appris que Paul Calhoun était né en 1922. Il était était engagé volontaire au 506° Regiment d’Infanterie Parachutiste de la 101ème Division Aéroportée, les « Screaming Eagles ».
De nombreuses pistes ont été suivies : des messages sur des sites concernant l’Airborne Division, un courrier à une personne portant le même nom que le fils de Paul Calhoun, un courrier à l’Ambassade de France à Washington (car certains vétérans ont reçu la Légion d’Honneur), et l’Association des Amis de la 101ème basée à Carentan…
Grâce à l’un de ses contacts, Alexandra a appris que la dernière adresse connue de Paul Calhoun était Venice. Mon père a tout d’abord écrit une lettre à l’ancien parachutiste directement et après 3 semaines sans nouvelles, il a eu l’idée de s’adresser à la mairie de Venice pour savoir s’ils avaient connaissance d’un certain Paul Calhoun et si l’adresse était toujours valide, en expliquant pourquoi il le recherchait. La personne qui a reçu le courrier, Kit McKeod, a été très touchée par le message de mon père, étant lui même un ancien de l’académie militaire de West Point et surtout lui aussi fils de vétéran ayant servi en Europe pendant la 2ème guerre mondiale! Il a découvert que Paul avait déménagé à Saratoga Springs dans une maison de retraite et il a fait lui-même la démarche de contacter la personne responsable, Chris Comeau, qui elle-même a transmis les informations à Paul et à son fils (dans la première lettre de mon père, il y avait un rappel de l’histoire et des photos).
Le 22 mai, le fils aîné de Paul Calhoun, Paul Jr, a écrit un mail à mon père et vous vous doutez bien qu’il y a eu plus d’une larme qui ont coulé dans quelques foyers normands!! En voici quelques passages traduits :
« Mon père a reçu votre lettre grâce aux efforts de Kit et Chris pour le retrouver. Je connais l’histoire aussi bien que vous, même si le point de vue est différent. Il fait partie de la tradition familiale Calhoun.
Mon père et moi sommes profondément émus de lire votre courrier et d’apprendre que l’histoire est toujours dans votre mémoire. Papa est en bonne santé et conserve toutes ses capacités mentales à l’âge de 92 ans. Il n’utilise pas un ordinateur, mais il peut toujours écrire, et il voudra sans doute prendre le temps de vous écrire ses pensées personnelles. Je lui ai demandé quand il avait été en contact avec votre père ou Jean-Baptiste S. pour la dernière fois et il pensait que cela faisait plus de 20 ans [En réalité cela fait bien plus longtemps car mon grand-père est décédé depuis plus de 40 ans]. Il se rappelle les jours avec votre famille encore clairement.
[…] Tout le monde dans la famille connait de l’histoire de notre père en Normandie, et ils seront tous ravis et touchés de savoir que vous et Eric pensez de lui.
Nous avons souvent essayé de faire revenir papa en Normandie, mais il ne l’a jamais fait. Je ne sais pas pourquoi. Je sais qu’il a toujours été rempli d’amour et de gratitude pour ce que votre famille a fait pour lui, ce qui nous a toujours touché, moi, ma sœur et mon frère, et toute sa famille élargie. »
Des échanges de courriers entre les familles françaises et Paul Jr ont suivi.
Le 26 mai, nous avons reçu un nouveau mail de Paul Jr :
« J’espère que ça ne vous dérange pas, mais j’ai partagé votre première lettre à papa avec quelques autres. Tout le monde est très ému. C’est un merveilleux hommage à vous tous qui avez fait l’effort de le trouver. Votre gratitude pour ce qui s’est passé il y a 70 ans est un message d’une grande valeur pour tous ceux qui ont assisté à la tragédie de la guerre. En outre, l’héroïsme du peuple français et votre appréciation de la liberté est peut-être bien connue, mais il est important pour tous les Américains de s’en souvenir.
Aujourd’hui c’est le Jour du Souvenir (Memorial Day) aux États-Unis, une fête nationale pour se souvenir de ceux qui sont tombés dans toutes nos guerres. Il n’a jamais été plus significatif pour moi après réception de vos lettres. »
Mais surtout, il y avait dans ce message une lettre de Paul Calhoun Sr!
« Votre lettre du 26 Avril a été un choc agréable pour moi. Je me souviens très bien de votre père comme il parlait bien anglais, et votre mère qui a mis une attelle sur ma main tandis que deux petits garçons regardaient, les yeux écarquillés.
J’ai gardé les deux photos toutes ces années après que votre père me les ait envoyées. C’était un grand homme!
Je crois que Jean-Baptiste S. a été la première personne que j’ai rencontrée après m’être échappé. Quand j’ai frappé à sa porte j’espérais que la maison n’était pas occupée par les Allemands. Quand il a ouvert la porte, j’ai dit: « Je suis un parachutiste Américain, je suis blessé, j’ai froid, j’ai faim. »
Je n’oublierai jamais le courage des personnes qui m’ont conduit à travers les bois à la ferme où nous avons rencontré votre père. Ils auraient risqué leur vie si les Allemands nous avaient vus.
Lorsque les soldats américains ont chassé les Allemands hors de la ville, votre père m’a donné deux œufs de canard à manger crus avant de me donner une gorgée de calvados. Bientôt, tous les villageois se sont réunis pour hisser le drapeau français et chanter « La Marseillaise ». C’était une scène très émouvante que je n’oublierai jamais!
J’ai rapidement trouvé la 101e division aéroportée près de Sainte Mère Église. J’étais le seul des 30 parachutistes de notre avion à revenir.
Plus tard, nous sommes allés à Bastogne, puis en Allemagne, en Autriche, et enfin Berlin, avant de retourner aux États-Unis.
Votre père et moi avons échangé des cartes de Noël pendant quelques années et il m’a envoyé des roses à quelques reprises. Il m’a envoyé un livre qu’il a aidé à rédiger appelé « Parachutés le 6 Juin » qui parle de moi.
Je vous suis reconnaissant à vous et à votre famille d’avoir écrit. »
Voici une photo de Paul Calhoun il y a deux ans, à 90 ans lors des célébrations de D-Day :

Avec mes parents, ma tante (qui était un bébé lorsque Paul a été soigné par ma grand-mère) et Eric et Alexandra, nous allons lui envoyer un bouquet bleu, blanc, rouge, couleurs françaises et américaines le 6 juin.
Il est déjà prévu que les deux familles françaises se rencontrent cet été et il est fort possible un jour il y ait une rencontre franco-américaine!
De son côté, Alexandra, professeur d’histoire dans un lycée a monté une exposition sur le 70ème anniversaire du débarquement et elle rajouté un panneau relatant les retrouvailles avec Paul Calhoun et de mon côté, aujourd’hui même, je compte lire à mes élèves de 4ème et 3ème la lettre de Paul Calhoun pour leur parler de cet évènement avec une « histoire vraie »!
Je suis très émue en écrivant cet article : j’ai souvent pensé que sans des hommes comme Paul Calhoun, de jeunes hommes courageux, et sans des français également courageux comme mon grand-père et le grand-père de Eric les choses auraient été bien différentes…
Et je trouve aussi qu’on peut dire qu’internet n’est pas un outil qui éloigne les gens car sans mon blog, Eric et Alexandra ne seraient pas entrés en contact avec mon père et à eux trois ils n’auraient pas retrouvé Paul si facilement! Le virtuel a ainsi permis de vraies rencontres!
En cliquant sur cette photo, 
vous arriverez sur un article très intéressant d’un journal américain qui raconte l’histoire de Paul Calhoun, notre histoire! Et ce qui est extraordinaire, c’est que j’ai reçu le lien vers cet article par un mail sur la messagerie du blog par une dame dont je ne reconnaissais pas le nom. Cette américaine (qui a étudié le français à l’université et qui m’écrit en français) ne connaît ni ma famille ni la famille Calhoun mais elle a été très touchée en lisant cet article. Elle a fait quelques recherches sur Internet et en tapant « Paul Calhoun » et « parachutiste » elle est tombée sur mon article de 2008 et elle m’a écrit pour me transmettre l’article pensant que cela m’intéresserait! Merci encore Susan!
Et la suite ici...
Et la fin...
Et pour ceux qui voudraient découvrir l’aventure de juin 1944 : Voici le passage qui concerne Paul Calhoun dans le livre :













































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