« Des hommes » de Laurent Mauvignier

Voici un roman dans lequel il n’est pas facile de rentrer et si je n’avais pas lu tout le bien que Valérie en pensait j’aurai peut-être abandonné car le style de la première partie m’a vraiment déstabilisée… mais ça valait le coup de s’accrocher!

Le style du début du roman est assez particulier, très haché, avec beaucoup de répétitions, de phrases inachevées, comme si elles suivaient le flots des pensées des protagonistes : le style reflète la confusion des esprits.

Lors d’une fête d’anniversaire, Bernard, un marginal sans argent, offre une broche de valeur à sa soeur ce qui échauffe les sensibilités de chacun. Plus tard, il commet une agression que personne ne comprend, sauf peut-être Rabut son cousin. Cet acte incompréhensible réveille chez ce dernier les souvenirs de la guerre d’Algérie, souvenirs qu’il partage avec Bernard (ou plutôt étouffe, élude) depuis 40 ans.

C’est un roman très fort, poignant, sur un conflit qui a apporté à ces jeunes appelés plus de peur que de faits d’armes. C’est un récit sans concession sur ces jeunes français qui ne connaissaient pas la vie avant d’être lancés dans une horreur qui les dépasse et les conséquences traumatisantes.

« Plus le temps passe, plus il se répète, sans pouvoir se raisonner, que lui, s’il était Algérien, sans doute il serait fellaga. […] Il pense à ce qu’on lui a dit de l’Occupation, il a beau faire, il ne peut pas s’empêcher d’y penser, de se dire qu’ici on est comme es Allemands chez nous, et qu’on ne vaut pas mieux.

Il pense aussi qu’il serait peut-être harki, comme Idir, parce que la France c’est quand même bien, se dit-il, et puis que c’est ici aussi la France, depuis tellement longtemps.[..]

Mais il pense aussi que peut-être tout ça c’est faux. Qu’il ne faudrait croire personne. Qu’on ment partout. Il pense depuis toujours qu’on lui ment. Quelque chose, qui ment. Partout. Jusqu’à lui donner l’envie de vomir et de retourner tout ce qui est le monde devant lui. Il a presque envie de pleurer. […] P 201-202